Inégalités : définition, perceptions et réalités

Pour solutions solidaires, Nicolas Duvoux entame un fil rouge sur définition, perceptions et réalités des inégalités.

Les inégalités se sont imposées sur le devant de la scène depuis la fin des années 2000. Au niveau international, le premier signal est venu de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) qui avait promu les réformes néolibérales dans les années 1990 et 2000. En 2008, elle alertait sur la concentration des revenus au sein des catégories les plus riches, particulièrement forte dans les pays anglo-saxons, aux États-Unis en premier lieu. En 2013, le livre de Thomas Piketty (Le capital au XXIe siècle, Paris, Seuil) a eu un très fort écho. Faisant plus de 1 000 pages, il a pourtant été vendu dans le monde à plusieurs millions d'exemplaires. Ce sont des signaux, parmi d'autres, d'une sensibilité nouvelle.

Le plus souvent, quand on parle d'inégalités, on sous-entend "inégalités de revenu ou de patrimoine", qui désignent ce que l'on pourrait appeler les "inégalités économiques". Ces notions ont en commun de s'intéresser à la distribution des ressources monétaires, qui celles-ci soient le revenu direct de son travail, ou la disposition de revenus du patrimoine – loyers, dividendes, etc., acquis ou accumulés et transmis (sous forme d'héritage par exemple). Ce type d'inégalités occupe une grande partie du débat public, nourri par des discussions entre experts. Si aucun indicateur, aussi perfectionné soit-il, ne donne accès à la “vérité” du niveau d'inégalité d'une société, ces écarts se mesurent de différentes manières, qui sont d'autant plus utiles qu'elles se complètent les unes les autres Ces indicateurs permettent de comparer les sociétés entre elles ou d'observer une tendance dans le long terme. C'est à partir de l'étude de ces inégalités économiques que le constat d'une augmentation des inégalités dans la plupart des pays développés a pu être fait. La France, même si elle voit l'écart entre riches et pauvres s'accroître, est l’un des pays dans lesquels la tendance est la moins marquée.

Les inégalités sociales ne se réduisent pas aux inégalités économiques. Jusqu'aux années 1970, les inégalités liées à la position sociale, le fait d'être un producteur et d'être opposé aux possédants, était un clivage perçu comme central. Depuis, celui-ci a perdu en visibilité, en partie au profit d'autres inégalités, celles entre les femmes et les hommes ou entre les groupes majoritaires et minoritaires du point de vue ethno-racial[1]. Pourtant, les classes sociales n'ont pas disparu. Leurs effets s’entrecroisent avec les autres formes d'inégalités : on parle "d'intersectionnalité".

Les inégalités sociales sont irréductibles aux inégalités économiques, même si ces dernières en sont une composante essentielle. Ce sont des processus sociaux qui créent des gagnants et des perdants, des détenteurs de privilèges et des victimes de discrimination ou de stigmatisation. Leur étude fait ressortir à quel point la durée de vie, la qualité de vie, les contraintes subies et les possibilités de réalisation des membres d'une collectivité sont différentes, en fonction de ces inégalités, qui comportent ainsi une grande violence. Sans même avoir besoin de s'interroger sur les critères de la justice sociale dans une société démocratique, les inégalités permettent une compréhension du fonctionnement du monde social dans la pluralité de ses dimensions : matérielle, symbolique et institutionnelle. Surtout, penser en termes d'inégalités impose de penser en termes de relations sociales entre groupes.

 


[1] Cette notion de majorité doit s'entendre au sens politique où un groupe majoritaire définit la norme qui s'applique à lui-même et aux autres : les Blancs dans l'Afrique du Sud de l'Apartheid étaient, quoique minoritaires numériquement, le groupe majoritaire.