Les chemins de l’écologie passent-ils par le care ?

Santé

Lors de la 5e édition de Solutions solidaires, Fabienne Brugère, philosophe, participait à la table-ronde sur le care. Extraits.

« Historiquement, le courant du care est né dans les années 80 aux États-Unis, au moment où s’étend le néo-libéralisme de Reagan et où se joue politiquement une transformation de la notion de responsabilité, en particulier dans le domaine de la question sociale. Un moment où se noue une idéologie très forte qui dit que chacun est responsable de son propre destin. Ce qui signifierait donc que celles et ceux qui sont pauvres, sont responsables de leur pauvreté. C’est une remise en cause fondamentale de l’État social.

Le courant de ce qu’on appelle les éthiques du care (les care ethics) naît d’ailleurs à ce moment-là, en réaction à cette individualisation de la responsabilité sociale, selon l’idée qu’il faut continuer de penser une responsabilité collective. Une responsabilité collective qui pourrait se jouer dans le prendre soin des autres avec des chaînes de soin.

En France, cette réception du care est importante dans les années 2000, notamment en 2010, quand Martine Aubry lance la perspective, comme programme politique, d’une société du care, qu’elle traduit par soin mutuel. Il s’agit de mettre au centre de la société les métiers de soin mais aussi toutes les activités quelles qu’elles soient qui ont à voir avec un prendre soin à revaloriser face à la société de marché qui a tendance à partager ce qui serait productif de ce qui relèverait de « l’improductif », comme les métiers et les activités de soin. Pour cela, il est nécessaire de repenser l’État social et les institutions qui le font, en réintroduisant du qualitatif plutôt que du quantitatif, dans le travail social et les soins médicaux : penser la qualité de la relation avec les populations, le temps passé, plutôt que le nombre de personnes aidées ou les actes médicaux effectués.

Il me semble que le care croise la question écologique par la question de la vulnérabilité car le care met en avant des situations de vulnérabilités. Elles peuvent être vitales, sociales ou environnementales et peuvent croiser les trois à la fois. Par exemple, les feux de forêt en Gironde, l’été dernier, sont une catastrophe d’abord écologique qui met en avant un lien au milieu vivant et met aussi en avant des facteurs sociaux : les humains les plus vulnérables auront besoin d’aide et vont se retrouver dans des situations sociales cruciales. Face à une catastrophe, on a une remise en cause du milieu en tant que tel, pas seulement des relations entre les humains mais des relations avec un territoire, avec une terre qui sont tout aussi importantes.

Alors que nous avons été confrontés à des situations de vulnérabilités auxquelles nous avons dû répondre dans l’urgence, la crise sanitaire a remis cette question sur le devant de la scène.

C’est l’heure du care. »