Les utopies locales inventent le monde de demain
Timothée Duverger, Maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux et directeur de la Chaire TerrESS, vient de faire paraître Utopies locales, les solutions écologiques et solidaires de demain (Les Petits Matins, 2021) qui inaugure une nouvelle collection « Mondes en Transitions » dirigée par Camille Dorival. Dans son ouvrage, il estime que le « monde d’après » la crise du Covid-19 existe déjà à travers les multiples initiatives locales d’économie sociale et solidaire, porteuses d’une autre manière de produire, de vivre et de consommer. Nous lui avons posé trois questions.
Comment voyez-vous le monde de demain ?
Nous pouvons écrire deux scénarios pour anticiper le monde de demain.Le premier, dystopique, est fait de guerres pour l’accès aux ressources, de migrations climatiques, d’États autoritaires… Le second, utopique, se fonde sur une résilience des territoires à partir de la transition vers une démocratie permanente où les citoyens sont invités à prendre une part active dans les décisions qui les concernent, de nouvelles solidarités à la fois redistributives et développant le lien social, une sobriété dans l’usage des ressources pour plus de soutenabilité et la libération des initiatives et des créativités de la société civile.
En quoi la crise du Covid-19 peut-elle aussi générer des opportunités ?
La crise du Covid-19 comporte d’abord des risques. Risque sanitaire bien sûr avec la propagation du virus et de ses variants. Mais aussi risques économiques et sociaux avec le ralentissement voire l’arrêt de l’activité économique, l’essor non cadré du télétravail porteur de risques psychosociaux, l’isolement notamment des personnes âgées…
Comme toute crise, elle peut aussi amener de nouvelles protections, parce qu’elle révèle ce qui n’était auparavant que des fragilités silencieuses pour lesquelles il est maintenant nécessaire de construire des solutions. Il en va ainsi par exemple des jeunes de 18-25 ans dont la situation, déjà précaire, est aujourd’hui très lourde avec l’arrêt des petits boulots et le développement des cours à distance. Pressé, le gouvernement a déjà répondu par des aides d’urgence, mais aussi des dispositifs comme le plan « 1 jeune, 1 solution » ou l’élargissement de la garantie jeunes. Mais ce sont les collectivités locales qui sont le plus offensives sur le sujet, à l’instar des départements qui réclament la création d’un revenu de base ouvert aux jeunes ou de la métropole de Lyon qui va expérimenter un revenu de solidarité jeunes.
Comment l'économie sociale et solidaire peut-elle contribuer à la construction d'un futur désirable ?
L’économie sociale et solidaire (ESS), c’est le « monde d’après » déjà là. Il n’y a pas besoin d’attendre les lendemains qui chantent, pas davantage une intervention providentielle. Elle agit ici et maintenant en fournissant des cadres d’action aux citoyens qui veulent construire des solutions couplant l’urgence écologique et l’exigence solidaire à travers de nombreuses expérimentations locales, souvent mises en œuvre par des partenariats public-ESS : énergies citoyennes, mobilités alternatives, foncières solidaires, résilience alimentaire, économie circulaire... Autant d’utopies locales, d’idées transformatrices qui trouvent à s’expérimenter sur les territoires pour changer de référentiel, imaginer une société « post-croissance » où prime la finalité du bien-être sur l’injonction du « toujours plus ». Les utopies locales inventent le monde de demain.