Mettre la solidarité en action dans des territoires concrets

L’économie sociale et solidaire a le vent en poupe…. Elle s’affirme au travers de réalisations nombreuses dans les champs les plus divers, elle mobilise des soutiens diversifiés tant du côté des collectivités publiques que de la société civile, elle s’organise et se donne à voir bien plus largement que par le passé, elle suscite enfin un attrait incontestable notamment chez les jeunes.

Paradoxalement pourtant, elle reste assez peu connue du plus grand nombre, elle est souvent mal comprise dans ses finalités et sa nature et de surcroit apparaît davantage comme un conglomérat de structures diverses que comme un ensemble homogène.

Cette position ambigüe s’explique par le fait qu’il s’agit d’activités et de formes entrepreneuriales qui sont placées dans des tensions structurelles. Fondamentalement, leurs promoteurs s’efforcent de réconcilier en un seul espace, celui de la coopérative, de la mutuelle, de l’association, de la fondation ou encore de l’entreprise sociale, ce que par ailleurs nos sociétés disjoignent du fait des principes même de leur fonctionnement : l’espace public où se construit l’intérêt général et l’utilité sociale, la vie privée en principe ordonnées par les intérêts particuliers et l’économie soumise à des impératifs de productivité et de rentabilité. Cela les place dans des positions médiatrices dans lesquelles elles cherchent à atténuer ces tensions, voire à les dépasser, en tentant d’instituer les interdépendances entre ces trois niveaux tout en respectant leur autonomie.

C’est pourquoi l’économie sociale et solidaire constitue un ensemble institutionnel diversifié, évolutif dans le temps et dont la nature propre est indéfinissable puisqu’elle réunit en doses variables des finalités que le cadre politique, social et économique global disjoint.

Du point de vue de ses structures elle est dépendante de ce cadre et les évolutions, mutations et transformations qu’il connaît les affectent directement en les obligeant à se recomposer en permanence. Mais dans l’autre sens, cette autre manière d’entreprendre et d’agir collectivement suscite en elle-même des ressources considérables en termes d’innovations, de conceptions et de doctrines originales qui ne manquent pas en retour d’influencer la structure institutionnelle globale. C’est pourquoi, en forme de résultante de cette dialectique, l’économie sociale et solidaire n’acquiert sa consistance que dans l’épreuve de la mise en œuvre, quand, dans des montages très diversifiés, elle se met en action dans des territoires concrets où, à l’instar du levain dans la pâte, elle permet à des acteurs de retrouver le sens du collectif, de conjuguer intérêts particuliers et utilité sociale, de joindre leurs efforts pour construire des espace sociaux-économiques plus humains. Cela parce qu’on parvient à y associer mieux l’inéluctable particularité de chaque individu, la nécessaire efficience de l’action collective et la prise en compte du « bien commun ».

 

Robert LAFORE, Professeur émérite, Sciences Po Bordeaux.

Auteur avec Timothée DUVERGER et Xabier ITÇAINA de : Les trois visages de l’économie sociale et solidaire. Institutionnalisations, trajectoires, territoires (Le Bord de l’Eau, 2020).