Pour une économie véritablement écologique

Timothée Parrique (https://twitter.com/timparrique) est docteur en sciences économiques au Centre d’Études et de Recherches sur le Développement (Université Clermont Auvergne, France) et au Stockholm Resilience Centre (Stockholm University, Suède).  Intitulé “The political economy of degrowth” (2019), sa thèse de doctorat explore les implications économiques de la Décroissance. Timothée est aussi l’auteur de “Decoupling debunked – Evidence and arguments against green growth” (2019), un rapport publié par le European Environmental Bureau (EEB).

Bonjour Timothée, pourrais-tu te présenter en quelques lignes ? 

Je suis chercheur en économie écologique. Je viens de finir un doctorat à l’Université Clermont Auvergne et à l’Université de Stockholm sur l’économie politique de la Décroissance (The Political Economy of Degrowth).

Tu es l'auteur d'un ouvrage assez conséquent de 872 pages - The political economy of degrowth - pourrais tu (même si difficile) nous expliquer brièvement les propos de ta thèse ? 

L’idée principale est que le capitalisme est un système à bout de souffle qu’il conviendrait d’abandonner. Mon argument se divise en trois propositions. La première : la croissance économique est une force destructrice. L’extension des activités économiques nuit à l’environnement car le PIB est corrélé aux dégradations environnementales ; et c’est aussi une nuisance sociale car elle augmente les inégalités et désagrège le tissu social. Mais pas de panique : dans la deuxième partie de la thèse, je montre qu’il est tout à fait possible d’organiser une économie sans croissance. D’ailleurs, une économie circulaire, coopérative, local, et solidaire serait bien plus à même de satisfaire nos besoins et plus résilientes aux crises. La troisième partie est dédiée à la transition – comment sortir de cette dépendance à la croissance ? Je réfléchis dans le cadre français et me concentre sur trois institutions économiques fondamentales : la propriété, le travail, et la monnaie. J’élabore des politiques de transformation (comptes carbone, généralisation des monnaies locales, revenu maximum, taxe sur le capital, réduction généralisée du temps de travail, coopératives, autogestion des entreprises, taxe sur les transactions financières, etc.) et explore comment tous ces changements viendraient interagir dans le cadre d’une transition vers une économie post-croissance.

La crise sanitaire due à la COVID-19 est venue chambouler nos quotidiens, penses-tu qu'il en sera de même avec nos imaginaires ? Au moins à court terme ? 

Je l’espère. On dit souvent aux révolutionnaires qu’on ne peut refaire un bateau que lorsqu’il revient au port, et donc, si nous suivons l’analogie, que l’économie ne peut être fondamentalement transformée car elle est toujours en mouvement. C’est une rhétorique conservatrice qui soutient un There Is No Alternative à l’économie telle qu’elle est aujourd’hui. La pandémie est venue chambouler cette croyance. Pour la première fois, le confinement nous a donné l’impression de « sortir » de l’économie et de pouvoir l’observer de l’extérieur. Enfin, nous pouvons nous poser une des questions clés de l’économie politique : Quelles activités économiques créent réellement de la valeur ? Pendant quelques mois, nous avons oublié le Produit Intérieur Brut (PIB) pour nous concentrer sur la satisfaction directe des besoins, de santé par exemple. Il faudra maintenant résister la tentation de revenir à un business-as-usual et saisir cette opportunité pour réorganiser la vie économique.

Enfin, notre système économique est régi par un référentiel du progrès qui aujourd'hui paraît arriver à sa fin. Crois-tu que les acteurs économiques, notamment les grandes entreprises comprendront ce message ? 

Non, malheureusement. Les « grandes » entreprises à gros bénéfices sont les gagnants du capitalisme mondialisé, elles seront vouées à disparaître dans une économie à échelle humaine qui respecte la fragilité de son environnement biophysique. Mais difficile pour une entreprise d’admettre que son activité va à l’encontre du bien commun. Ceux qui profitent du système en place feront tout pour freiner le changement, alors qu’au contraire, l’urgence climatique nous demande d’aller toujours plus vite. Soyons radical : ce qu’il faut faire, c’est réorganiser l’économie en fonction des besoins de ceux qui sont le plus vulnérables aujourd’hui, les perdants du capitalisme : les plus pauvres, les femmes, les minorités, les écosystèmes, les animaux, et les générations futures. C’est ce projet que j’entreprends dans The Political Economy of Degrowth.

Quelques mots pour la fin...

Quand j’ai commencé ma thèse, je pensais (naïvement) que nous avions besoin d’idées neuves. Après 4 ans à avoir épluché des centaines de propositions d’économie alternatives, je me suis rendu compte que toutes les cartes étaient déjà dans nos mains. Nous devons maintenant les rassembler, les comprendre, et s’en servir pour discuter et inventer ensemble une nouvelle forme d’économie. Nous avons besoin d’une économie plus résiliente écologiquement et plus juste socialement, beaucoup d’actrices-eurs ont déjà commencé cette transition – je pense à ceux qui militent pour l’instauration d’une loi sur le crime d’écocide, les Sociétés Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) qui réinvente notre façon de produire, les coopératives de consommateurs qui luttent contre l’obsolescence programmée, les Associations pour le Maintien d’une Agriculture de Proximité (AMAP), les Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée, et tous ceux qui réfléchissent et s’organise pour trouver de nouvelles manières de satisfaire nos besoins sans mettre la planète ou les autre en péril. Écoutons ces actrices-eurs du changement et accompagnons-les.